Traçage des contacts covid : au diable l’éthique?

Avec la CoViD-19, plusieurs pays se sont lancés dans une course à la création d’applications de traçage électronique pour téléphones intelligents. Cela soulève un grand nombre de questions.
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Publié 29/10/2020 par Didier Pilon

La pandémie de CoViD-19 a vu s’accroître le rôle de nombreuses technologies, existantes ou nouvelles. Parmi celles-ci se trouvent les applications de traçage de contacts et de notification d’exposition.

Si certains y voient le potentiel de mieux contrôler la propagation du virus, d’autres s’inquiètent des conséquences éthiques et juridiques de l’utilisation de ces applications.

Theresa Scassa

Un groupe de chercheurs de l’Université d’Ottawa, dont les professeurs Jason Millar, Kelly Bronson et Theresa Scassa, appuyés par les chercheurs étudiants de l’Initiative IA + Société Tommy Friedlich et Ryan Mosoff, s’intéresse à ces questions.

Depuis plusieurs mois, ils collectent des données sur l’adoption des applications de traçage de contact partout à travers le monde. Ces données sont maintenant disponibles sur leur site Global Pandemic App Watch (en anglais seulement).

La professeure de droit Teresa Scassa, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politiques et droit de l’information, explique ce projet.

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Quelles sont les questions à l’origine de ce projet de recherche?

La première question qu’on s’est posée était: «Quel genre d’applications de traçage sont adoptées dans divers pays?»

Il y a une diversité de modèle qui diffèrent non seulement dans le genre de données qu’ils collectent, mais aussi à savoir avec qui ces données sont partagées et à quelles fins.

Plusieurs pays, dont le Canada, ont choisi le modèle «Google-Apple». D’autres ont préféré le modèle développé à Singapour.

Le choix d’application de traçage n’est pas simplement un choix technologique, mais représente aussi différentes valeurs sociétales et différentes cultures politiques.

Comment les applications de traçage fonctionnent de manière générale?

Les premières applications de traçage utilisaient les GPS sur les téléphones intelligents, ce qui permettait le traçage de mouvement.

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Certains ont alors eu des craintes quant à la surveillance gouvernementale et la protection de la vie privée.

Les applications ont donc vite évolué vers l’utilisation des fonctionnalités Bluetooth: il n’y a pas de traçage de mouvement, seulement un traçage des contacts.

Lorsque deux téléphones qui ont l’application sont à proximité assez longtemps – à moins de deux mètres pendant une période de 15 ou 20 minutes – il y a un échange d’information d’un téléphone à l’autre.

Donc, votre téléphone sait que tel ou tel usager était proche de vous. Lorsqu’un usager teste positif pour la CoViD-19, il peut insérer un code dans son application qui avertit tous les autres usagers qui ont été à proximité de lui.

Quelles sont les différences entre les deux principaux modèles?

La grande question est de savoir qui a accès à l’information que collecte l’application.

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Est-ce que ces données doivent être accessibles seulement à partir des téléphones des individus, ou est-ce que l’information doit-être transmise aux autorités de santé publique, soit dès le début ou à partir du moment où une personne reçoit un test positif?

Les applications du style Google-Apple stockent les données sur les téléphones cellulaires des usagers. Il n’y a donc aucun partage des renseignements avec les bureaux de santé publique.

Si quelqu’un teste positif pour la CoViD-19, il reçoit un code qu’il entre dans son téléphone cellulaire pour mettre en place le partage de l’information.

Avec le modèle de Singapour, les utilisateurs choisissent de partager leurs contacts avec les autorités de santé publique.

Quels sont les avantages et désavantages des deux modèles?

Le modèle Google-Apple protège fortement la vie privée, mais ne permet pas nécessairement les suivis de la part des autorités de santé publique.

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Si je reçois une alerte de l’application qui m’informe que j’ai été en contact avec quelqu’un qui a testé positif pour la CoViD-19, je peux l’ignorer et personne ne le saura.

En revanche, avec le modèle de Singapour, les bureaux de santé publique reçoivent mes informations et se chargeront d’entrer en contact avec moi pour m’encourager à passer un test. Ils ont aussi la possibilité d’utiliser ces données dans leur modèle de dissémination du virus.

Vous avez aussi créé une carte qui indique pourcentage de participation. Qu’est-ce que cette information nous indique?

C’est une manière intéressante de sonder la confiance du public en leur gouvernement.

L’application canadienne est consciente de la nécessité de protéger la vie privée des gens, mais si vous regardez les débats et les discussions dans la sphère publique, il y a beaucoup de préoccupations concernant la protection de la vie privée.

Certaines de ces préoccupations ne comprennent pas bien le fonctionnement de l’application, en pensant par exemple qu’elle trace le mouvement de ses utilisateurs.

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D’autres préoccupations sont plus justes, mais s’appliquent également à au moins une demi-douzaine d’autres applications sur le téléphone de ces personnes.

Il est donc très intéressant de réfléchir à ce qui fait que les gens hésitent à télécharger cette application par opposition aux applications du secteur privé.

On pourrait penser que ces personnes font plus confiance au secteur privé qu’au gouvernement. Le gouvernement peut toutefois aussi facilement accéder aux données des applications du secteur privé.

Quel genre de questions éthiques examinez-vous?

Il y a une grande variété de préoccupations éthiques et pour l’instant nous avons plus de questions que de réponses.

Certaines questions concernent l’expérimentation d’une nouvelle technologie en pleine pandémie. Par exemple, la possibilité que l’application ne soit pas correctement calibrée pourrait rendre la vie des gens plus difficile de manière très réelle.

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Si l’application est trop sensible et envoie des alertes alors que le risque d’avoir contracté le coronavirus est relativement faible, elle pourrait placer des personnes qui n’ont pas le luxe de travailler à domicile dans des situations difficiles.

Ces gens pourraient devoir s’absenter du travail pour se faire tester ou se mettre en isolation pendant 14 jours.

Bien entendu, ces risques sont toujours pris en compte dans la nécessité de faire quelque chose pour lutter contre la pandémie. La question est de savoir comment nous mesurons les risques par rapport aux avantages perçus.

Quelles questions juridiques examinez-vous?

Nous gardons un œil sur la mesure dans laquelle l’application demeure volontaire.

Certains employeurs commencent à exiger de leurs employés qu’ils téléchargent et utilisent l’application pour surveiller ou contrôler l’exposition à la CoViD-19 au sein de leur personnel.

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Cela change la nature volontaire de l’application, et nous examinons donc si cela soulève des questions juridiques.

En même temps, nous avons commencé à entendre des témoignages anecdotiques selon lesquels certains employeurs disent à leurs employés d’éteindre l’application.

Ils le font lorsque les employés se trouvent dans des contextes où ils sont susceptibles de recevoir beaucoup de fausses alertes, comme les employés qui travaillent avec des équipements de protection individuelle. Les employeurs craignent que les alertes constantes perturbent leur personnel.

Il pourrait également y avoir des problèmes de liberté civile si, par exemple, les écoles décidaient de rendre obligatoire l’application par les élèves ou les enseignants. Ce n’est pas quelque chose qui se produit actuellement, mais nous examinons ces questions.

Est-ce que le Canada pourrait rendre l’application obligatoire?

Bien des gens se demandent: si ces applications sont vraiment utiles, pourquoi ne sont-elles pas obligatoires?

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D’autres se disent que ce n’est pas une bonne idée si les applications peuvent être utilisées pour tracer les gens.

D’un point de vue juridique, il y a plein d’autres soucis, comme la disponibilité de la technologie.

Si le Canada décide demain que les applications de traçage sont obligatoires, il doit premièrement admettre que ce ne sont pas tous les citoyens qui ont accès à un téléphone intelligent. Si une loi existe, les citoyens doivent être en mesure de la respecter.

Il y a toute sorte de solutions à cette question que nous continuons d’examiner.

Auteur

  • Didier Pilon

    L’Initiative de journalisme local est financée par le gouvernement du Canada et gérée par l'Association de la presse francophone.

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